urbanités du 02.11: le compte-rendu
Loi sur l’aménagement du territoire: mission (im)possible ?
En mars 2013, le peuple suisse acceptait la révision de la loi sur l’aménagement du territoire (LAT). Cette dernière a pour objectifs de freiner le mitage du territoire en réduisant les zones à bâtir surdimension-nées et de lutter contre la thésaurisation des terrains. Sur le papier, les choses semblent être simples: densification, utilisation des zones à bâtir non construites avant tout autre projet de mise en zone, coordination régionale pour le choix de l’emplacement et dimensionnement des zones à bâtir par le plan directeur cantonal révisé. Mais plus d’un an après sa mise en vigueur, de nombreuses voix se font entendre quant à la difficulté de son application. Selon les exigences de la LAT, dans le canton de Vaud, plus de 70% des communes devront procéder à d’importants déclassements. Comment les autorités cantonales et les professionnels peuvent-ils aider les communes à se conformer à la LAT? Comment faire cohabiter les nouvelles exigences fédérales et les droits des propriétaires? Comment appliquer une loi fédérale qui, si elle est plus que louable et nécessaire, demande aux communes et aux cantons de faire des choix douloureux?
Pierre Imhof commence par un état des lieux des zones à bâtir existantes dans le canton. Ajoutées aux projets communaux en cours et mises en relation avec les prévisions démographiques, elles offrent de larges réserves. Ces terrains sont répartis à parts égales entre 1240ha en territoire urbanisé et 1240ha « mal situés », c’est-à-dire des parcelles non équipées ou soumises à des risques naturels et ne comportant pas peu ou pas d’accès aux transports en commun. On observe pourtant depuis 2000 une évolution démographique toujours plus importante « hors centre ». La LATC a pour but de limiter cette croissance, dont la consommation et l’emploi d’espace par habitant sont quatre fois supérieures qu’en agglomération. Afin de conserver un équilibre entre zones à bâtir et prévisions démographiques, le développement dans les centres sera aussi limité. Le canton prévoit ainsi d’accompagner les communes dans un travail de redimmensionnement du territoire, de dézonage et d’affinement de la planification. Cette dernière passera désormais par une hiérarchisation des projets de manière à dynamiser les plans directeurs sur 15 ans.
Christelle Luisier Brodard explique, sans remettre en cause les principes d’application mais plutôt la rigidité du système et les points laissés en suspens, les difficultés que peut avoir une commune à appliquer une loi. En effet, ce laps de quinze ans lui semble incompatible avec les délais de fabrication des plans directeurs. La simultanéité de la compensation des zones est un problème pour les communes. À Payerne par exemple, un projet d’intérêt général de 60’000m2 d’équipements sportifs est en attente d’un nouveau PGA, puisque la nouvelle zone créée doit être compensée immédiatement par un dézonage. La limite de développement des centres, dont le taux sera annoncé début 2016, lui semble contraire à toute la campagne de la LAT, étant donné que le dézonage devait être compensé par la densification des zones urbanisées. La hiérarchisation des projets est une solution déjà appliquée par les communes, mais elle offre cependant peu de flexibilité parce que les plans directeurs ne peuvent pas s’adapter à l’évolution plus rapide des projets qui dépendent aussi d’éléments extérieurs (oppositions des voisins, restrictions des monuments historiques…). En constatant que l’initiative pour les logements abordables, actuellement menée par l’ASLOCA, pourrait être menacée par la LAT, Christelle Luisier Brodard se demande finalement si on n’est pas en train de limiter la croissance démographique.
Thierry Chanard, en tant qu’urbaniste, se positionne entre le canton et les communes, comme un explorateur qui doit gérer ces changements sur le territoire. Il critique les directives par étapes transmises par le canton, où l’on confond transitoire et moratoire, avec notamment l’avenir des zones intermédiaires qui reste mal défini et le statut des zones à déclasser. Néanmoins, il adopte une réaction pro-active pour appliquer les changements. Sa méthodologie de dimensionnement des zones à bâtir s’appuie en premier lieu sur les statistiques de croissance de population, tout en questionnant le pourcent d’évolution démographique pris en compte dans la loi. Les terrains à dézoner sont ensuite définis sur des critères d’exclusion, même si les dangers naturels ont souvent peu d’influence sur les zones à bâtir existantes. Puis, en collaboration avec le canton, les communes doivent définir leurs objectifs et pondérer chaque zone. Il s’agit d’un travail de cohérence, à mener au cas par cas. Il conclut d’ailleurs avec l’exemple valaisan, où la loi est appliquée selon chaque partie de la commune : plaine, coteau ou station.
Durant la Table ronde, face aux réactions sur la limite de développement des centres, Pierre Imhof explique que les réserves pourraient ne pas être dézonées, mais seulement réglementées pour l’implantation, et que la planification locale devrait rester une compétence communale. Il ne s’agit pas toujours de dézoner, mais par exemple de reprendre en réserve des terrains utilisés pour des équipements sportifs ou des espaces verts. Christelle Luisier Brodard rappelle que le dézonage est pourtant recommandé explicitement dans le fascicule cantonal transmis. Selon elle, la croissance démographique de 1% doit être rediscutée au niveau fédéral puisque, par exemple, les communes de la Broye observent une croissance de 3%. Si un terrain dézoné peut successivement revenir en zone à bâtir, pourquoi ne pas appliquer un moratoire d’utilisation ? Selon Pierre Imhof, cela aurait comme unique effet de geler les projets Un passage en zone intermédiaire permettrait cependant de mettre en attente les terrains qui présentent un intérêt au-delà de 15 ans. Thierry Chanard ajoute que le statut des zones intermédiaires, initialement créé pour les zones agricoles en devenir, devrait alors être clarifié pour rassurer les propriétaires. Pierre Imhof rappelle que les propriétaires lésés seront indemnisés par la « taxe plus-value » ou par le canton.
Héloïse Gailing, architecte SIA