Urbanités du 12 décembre 2016 - le compte-rendu
ASSEZ ! La qualité sonore de la ville
-
Dimitri Magnin dresse un constat après 30 ans de lutte contre le bruit en ville. Les outils sont-ils toujours d’actualité ? C’est entre 1985 et 1988 que la lutte contre le bruit apparaît avec la loi sur la protection de l’environnement, l’ordonnance fédérale pour la protection contre le bruit et la norme SIA 181, entre autres. Les valeurs limites sont alors fixées en fonction des recommandations de l’OMC. Il s’agit de protéger contre la gêne, et non pas de viser un certain confort. En 1985, 550’000 personnes sont concernées par la gêne liée au bruit routier. En 2010, ce chiffre s’élève à 1’600’000. Cette forte hausse s’explique par l’augmentation de la population, mais aussi par l’augmentation de la mobilité. Et pourtant, la majorité des plaintes liées au bruit concerne le voisinage, notamment les bars et restaurants. Dans les années 80, la stratégie urbaine traditionnelle était d’implanter les bâtiments à distance des facteurs de bruit. Avec la densification, les préoccupations évoluent et beaucoup de dérogations sont accordées. On développe maintenant des stratégies plus réfléchies comme l’ajout d’éléments architecturaux de protection (loggias, vérandas…), l’orientation favorisée des espaces extérieurs, ou la prise en compte de chaque façade selon son exposition au bruit plutôt que la situation du bâtiment dans sa globalité. Les mesures contre le bruit interviennent légalement lors de trois étapes de projet : le plan directeur, mais pas systématiquement, le PPA ou plan de quartier, mais de manière jugée souvent trop contraignante, et lors de l’attribution du permis de construire, alors que le projet est déjà trop développé pour être modifié. Dimitri Magnin recommande une intégration des mesures en amont du projet, afin d’éviter des solutions ajoutées qui sont généralement coûteuses et peu esthétiques. Concernant spécifiquement le bruit routier, on distingue 3 types de mesures : à la source, avec l’amélioration des revêtements ou les réductions de vitesse ; les mesures contre la propagation, qui sont principalement des ouvrages anti bruits ; et les mesures pour le récepteur, qui consiste en l’amélioration de l’isolation acoustique des bâtiments. Dimitri Magnin s’étonne que les différents labels durables et les écoquartiers n’intègrent pas la notion de confort acoustique. Jusque-là, il s’agit de respecter les valeurs légales sans apporter aucune qualité supplémentaire.
-
Pascal Amphoux commence sa présentation avec l’écoute d’un extrait sonore, dans lequel le lausannois averti peut reconnaître le débarcadère d’Ouchy. L’auditeur est sensé basculer d’un mode d’écoute à l’autre en entendant d’abord une conversation distincte, puis en se représentant une scène avec une couleur sonore connue, des distances, des bruits… Il s’agit d’une composition globale.
Cet extrait est un exemple des sons sur lesquels il base sa recherche, dans laquelle il distingue 3 types d’écoute : environnement sonore, milieu sonore et paysage sonore. A ces 3 mondes sonores, il attache respectivement 3 pollutions : acoustique, sonore et phonique ; et donc 3 modèles opérationnels : protéger l’environnement (attitude défensive), conforter le milieu (attitude offensive), et composer le paysage (attitude créative). Ces critères de qualité vont permettre de définir des fragments sonores et donc de développer un vocabulaire qui permet de dire l’espace sonore, avec des notions plus qualitatives et riches que la simple description. Pascal Amphoux poursuit avec la présentation de trois projets sonores. Le premier est une installation de Rudy Decelières, Courants continus, composée d’émetteurs fixés sous une voute du Learning Center à l’EPFL. Ces émetteurs diffusent comme des gouttes sonores, à toutes les fréquences, qui créent un bruit blanc qui influe sur le parcours des étudiants. Puis il continue avec deux de ses projets, conçus avec F. Broggini. Le premier est un projet de paroi anti bruit qui apporterait plus qu’une simple protection, et dont l’acoustique serait variable selon le contexte. Enfin, il termine avec le projet du Viaduc de Chillon, dont la forme du tablier vient isoler la partie inférieure pour lutter contre un effet de réverbération.
-
André Bosshard poursuit en présentant ses travaux artistiques. D’abord un pont proche du port de Hambourg, très exposé au vent et qu’il a utilisé comme véritable instrument. En ajoutant des éléments verticaux, il s’appuie sur le rythme de la structure pour transformer le rythme de la marche. Pour lui, les architectes conçoivent des instruments. Le son correspond à un espace, un instant, une fréquence. A partir d’un moment visuel, le jet d’une pierre dans l’eau, il s’inspire de la forme crée par l’éclat pour créer une tour sonore sur le lac de Bienne. Les artistes font des expériences quotidiennes dans cette installation jusqu’à réaliser que leur travail a une résonance sur tout le lac et touche même les gens à 25km de distance. Puis, il présente le travail de David Olen, A balloon for Linz, qui est une vidéo où l’artiste éclate un ballon de baudruche dans différentes infrastructures. La réponse du bruit diffère beaucoup selon la situation architecturale. Il insiste sur l’éveil nécessaire des architectes à la question sonore. Avec des exemples comme un système d’écoute militaire à travers le Channel en Angleterre, composé de murs et paraboles en béton, ou celui d’une de ses installations contre un barrage au Tessin, il démontre comme les façades des bâtiments créent une amplification du bruit. La ville doit être considérée comme un grand instrument sonore, dont le son se propage jusqu’à 500m de hauteur dans le ciel. Il distingue aussi plusieurs degrés de confort sonore, qu’il évalue grâce à une possible discussion entre deux personnes ou pas. Enfin, il termine par la présentation d’une étude en cours, à Zürich, où la situation d’un chemin, en bord de canal, en contrebas de voies ferrées, face à un pignon, nécessite de prendre en compte chaque élément individuellement pour étudier son impact sur le promeneur.
-
Table ronde Comment intégrer la notion de son ou bruit dans un projet ? Dimitri Magnin recommande de d’abord définir le niveau de confort à atteindre, et l’ambiance recherchée. Par exemple, pour un espace extérieur, cherche-t-on à créer une ambiance de nature ? Pour André Bosshard, l’architecte devrait travailler et tester in situ. Au-delà des plans, il faut comprendre la parcelle et la ville. Pascal Amphoux rejoint l’artiste et insiste sur l’importance de la diversité et des variations des façades et des espaces publics pour comprendre et offrir différentes ambiances. Y a-t-il des projets contemporains déjà exemplaires ? Non. Il y a peu d’adéquation entre la planification et le projet, contrairement aux nuisances lumineuses. Les villes pourraient déjà prendre des mesures restrictives comme interdire le trafic dans certaines rues la nuit.
Héloïse Gailing, SIA Vaud