Urbanité du 2 septembre 2019: le compte rendu
Le lundi 2 septembre 2019, dans un F’ar plein à craquer, le premier débat Urbanités de la rentrée a eu lieu sur le thème de la commission d’architecture et d’urbanisme. Quatre intervenants se sont succédé à la tribune pour évoquer leur point de vue sur la question.
Astrid Staufer
Astrid Staufer est architecte. Elle a été membre de la commission zurichoise entre 2014 et 2018. Mais elle a également participé à de nombreux autres groupes de réflexion et commissions : un groupe de spécialistes qui se penche sur la conception de la ville de Zürich, la commission d’architecture de Wil, la commission du bâtiment de Zürich et le groupe de suivi urbanistique de la ville de Bâle. Toutes ces expériences enrichissantes l’ont convaincue du bien-fondé de ce type de démarche.
À ses yeux, les commissions d’architecture et d’urbanisme apportent une réelle plus-value au processus de planification, une démarche complexe impliquant de multiples échelles et acteurs. Elle souligne que de telles décisions ne doivent pas se réduire à des considérations esthétiques et subjectives. Elles nécessitent au contraire de prendre du recul pour pouvoir parler de la ville en elle-même. En prenant des décisions qui influenceront le territoire à long terme, les membres de ces commissions endossent donc une responsabilité globale. Astrid Staufer termine en évoquant les buts d’une commission d’architecture et d’urbanisme. Protéger l’espace collectif, densifier de façon pondérée, assurer une vie publique variée sont autant d’objectifs poursuivis par la commission. Elle rappelle également l’importance de donner de l’espace et du temps aux développements et aux changements, en évitant le piège du « vite fait mal fait ».
Barbara Schwickert
Barbara Schwickert est conseillère municipale à la Ville de Bienne. Elle y assume la fonction de directrice des travaux publics, de l’énergie et de l’environnement. Elle présente le modèle de commission biennoise : le CSAC, comité de spécialistes en aménagement et construction, qui sur le plan légal s’appuie sur la loi sur les constructions du canton de Berne et le règlement de construction de la Ville de Bienne.
À Bienne, le CSAC, composé de sept membres tous extérieurs à la ville, est nommé par l’exécutif. Les cas qui y sont examinés ont été préalablement triés par un groupe interne de spécialistes se réunissant une fois par semaine. Le comité donne ensuite son préavis à la municipalité.
Barbara Schwickert exprime sa satisfaction de pouvoir compter sur un tel comité, qui permet à la municipalité de conserver un statut d’organe politique neutre et de s’appuyer sur l’avis de personnes compétentes dans leur domaine. Elle souligne que les discussions ont toujours lieu dans un climat respectueux et constructif. Les membres du comité cherchent toujours à délivrer une évaluation rationnelle afin de pouvoir prendre une décision objective.
Selon Barbara Schwickert, la mise en place d’une commission d’urbanisme et d’architecture permet une situation où chacun est gagnant : les maîtres d’ouvrage reçoivent un avis professionnel et argumenté, et la municipalité évite de se retrouver prise entre deux feux lorsque le projet implique des personnes connues. À Bienne, l’exécutif a d’ailleurs toujours suivi les recommandations du comité, y compris lorsqu’il s’agissait d’accorder des dérogations pour certains permis de construire.
Eric Brandt
Eric Brandt est un ancien juge du Tribunal Cantonal vaudois. Au cours de sa pratique, il a souvent été confronté à des questions d’urbanisme. Souvent, la question de l’esthétique y est centrale. Il a d’ailleurs toujours tenté dans ses jugements de prendre des décisions tendant à l’amélioration de la qualité de l’architecture, mais il relève la complexité de la tâche, la qualité étant parfois difficile à codifier.
Dans la loi vaudoise, la clause d’esthétique fournit une base légale très large dont l’application est parfois difficile. La commission de recours se montre d’ailleurs très exigeante sur les questions d’esthétique, mais le Tribunal Fédéral tend à trancher en faveur des règlements communaux. Ainsi, si le règlement prévoit que des locatifs à quatre niveaux peuvent être construits, l’argument de l’esthétique n’aura que peu de valeur si un recours est déposé contre la construction d’un tel édifice, même s’il cache la vue des bâtiments se trouvant derrière. Durant ses années de pratique, Eric Brandt a constaté que peu de commissions existaient. À ses yeux, elles jouent un vrai rôle car elles permettent d’apporter une vision plus globale et un œil expert dans le débat. Il conclut en soulignant que la qualité du bâti en serait gagnante, et que de telles commissions constituent une vraie réponse aux buts de la LAT.
Grégoire Junod
Grégoire Junod, syndic de la Ville de Lausanne, avait promis lors de sa campagne électorale qu’il mettrait sur pied une commission d’urbanisme et d’architecture pour la ville. En effet, Lausanne est l’une des seules villes de cette envergure à ne pas en être dotée.
Grégoire Junod démarre son intervention en annonçant que la ville réfléchit sérieusement à sa mise en place pour 2020. En effet, il juge délicat que la municipalité doive se prononcer contre l’octroi de certains permis de construire ; cela crée une certaine insécurité juridique. A l’inverse, une commission permettrait un jugement solide et argumenté par des spécialistes de la question.
Le seul obstacle à la création d’une commission lausannoise : la révision du plan d’affectation de la ville (PGA), dont la mise en œuvre n’est pas prévue avant 2023-2024. Ce nouveau plan devrait en effet servir de base légale à la future commission. Pour contrer cet écueil, Grégoire Junod annonce un processus en deux temps, avec la mise sur pied de la commission dès 2020, suivie trois ou quatre ans plus tard de la mise en œuvre du PGA, qui inclura également un bilan des premières années de vie de la commission.
Concernant la composition de cette future commission, Grégoire Junod informe le public qu’elle comptera certainement cinq membres extérieurs à la ville et à l’administration. Il prévoit d’y inviter des architectes, des urbanistes et un historien de la construction, les questions de patrimoine et d’intégration des bâtiments historiques dans la ville étant particulièrement importantes pour l’exécutif lausannois.
Le fonctionnement de la commission sera proche de celle de Bienne : la commission se prononcera sur les projets qui lui seront soumis par la municipalité sur recommandation du service d’architecture. Une partie des projets sera automatiquement soumise à la commission ; ce sera le cas des projets situés dans des zones de moyenne et haute densité. Pour chaque projet, la commission devra fournir un préavis qui permettra à la municipalité de prendre sa décision.
Grégoire Junod termine son allocution en nuançant son discours. Il rappelle que la mise en place d’une commission d’urbanisme et d’architecture augmentera certes la sécurité juridique, mais qu’elle réduira tout de même le pouvoir de l’exécutif.
Table ronde
Plusieurs questions ont été évoquées lors d’une table ronde animée. Il est d’abord question de la base légale qui n’est pas encore prête à Lausanne. Une architecte membre de la commission lucernoise relève que dans la ville de Lucerne, la commission a fonctionné durant des années sans base légale. Eric Brandt appuie ces propos et souligne que du point de vue du juge, un avis émanant d’une commission est toujours pris en compte, même sans base règlementaire.
Il est également soulevé que la commission pourrait être invitée à participer à l’élaboration du PGA, idée que Grégoire Junod semble trouver intéressante.
De nombreuses questions sont soulevées quant à la composition et au modèle de la future commission lausannoise. Serait-il intéressant de créer plusieurs commissions spécialisées ? Pourrait-on imaginer une commission comptant davantage de membres ou à géométrie variable en fonction des permis de construire concernés ? Grégoire Junod rappelle qu’il existe passablement de contraintes budgétaires quant à ces différents paramètres.
Il est également discuté d’intégrer aux raisonnements de la commission des considérations plus actuelles telles que les questions de patrimoine ou d’urgence climatique.