Urbanités du 18 novembre 2024 - Le compte rendu
Le Groupe Environnement et Durabilité de la SIA Vaud (GED), qui organise le débat du soir, souhaite la bienvenue au public venu nombreux pour cette soirée de discussion autour du thème des budgets carbone.
Raphaël Bach, modérateur de la rencontre, introduit le propos en parlant des nombreux déchets de l’industrie avec lesquels on ne sait pas quoi faire, et qui sont source de pollution. Il explique que certains déchets sont brûlés dans les cimenteries, ce qui permet au ciment d’être labellisé comme « bas carbone ». Il passe ensuite la parole au premier intervenant.
Jean-Marie Quéméner
Haut fonctionnaire au Secrétariat Général à la Planification Ecologique - Paris
Jean-Marie Quéméner, en sa qualité de haut fonctionnaire de l’Etat français, travaille aux côtés du premier ministre dans le domaine de la planification écologique. Cette dernière a été instaurée par Emmanuel Macron lors de sa deuxième campagne et devait lui permettre de planifier les cibles et les besoins en financements, en emplois et en compétences. Cette planification se traduit aujourd’hui en France par la tentative de mettre en cohérence différentes politiques sectorielles,
La planification écologique est construite autour de cinq grands sujets (climat, biodiversité, santé, adaptation, ressources) et de six axes (se loger, produire, se déplacer, se nourrir, consommer, préserver), dont vont découler de nombreux sujets et objectifs. Le point de départ de ces réflexions prend sa source dans les accords de Paris, qui ont pour objectif de réduire les émissions de gaz à effet de serre, et de mettre en place des dispositifs pour y parvenir. Dans ce processus, la grande difficulté réside dans le fait de transformer des mégatonnes en leviers concrets.
Dans le domaine du bâtiment, les défis sont de taille, avec un parc à rénover, les enjeux liés aux matériaux, mais également les questions touchant aux aménagements urbains et à la manière de bâtir la ville. Des sujets tels que l’artificialisation des sols doivent en effet être pris en compte, tant en matière de protection de la biodiversité qu’en matière d’émissions de gaz à effet de serre.
Si l’on s’intéresse de plus près à la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans le secteur du bâtiment, on identifie trois grands leviers :
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Rénovation du parc de logements
Pour atteindre les objectifs, il est essentiel d’enclencher une dynamique de rénovations importantes, qui repose sur des dispositifs contraignants pour supprimer les passoires énergétiques. Jean-Marie Quéméner évoque ainsi une norme qui étiquette chaque logement en fonction de ses performances énergétiques. Et dès le 1er janvier 2025, les logements étiquetés « G » seront interdits à la location. Cette mesure forte s’accompagne d’une composante sociale avec des aides progressives en fonction du niveau de pauvreté.
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Rénovation du parc tertiaire
Pour ce second axe, l’Etat travaille avec des cibles progressives de réduction de la consommation d’énergie. Les propriétaires des parcs tertiaires doivent justifier de leurs efforts.
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Bâtiments neufs
Depuis une vingtaine d’année, une règlementation thermique a été mise en place sur les bâtiments et est devenue une règlementation environnementale. La norme s’impose au moment du dépôt du permis de construire.
Jean-Marie Quéméner conclut en soulignant que les trajectoires de planification écologique font l’objet d’un pilotage au plus haut niveau. Des bilans réguliers ont lieu avec le premier ministre et le président pour faire le point sur l’avancement des objectifs en termes de neutralité carbone. Certes, les émissions de certains postes (comme le parc immobilier) augmentent, mais il a été possible de démontrer que les politiques publiques avaient permis d’économiser plus de 8 mégatonnes. Ce chiffre encourageant va de pair avec des mesures d’encouragement pour les citoyen·es français·es pour qu’ils et elles adoptent des gestes et comportement durables, une autre manière de faire des économies.
Thomas Jusselme
Professeur ordinaire HEIA-F - Fribourg
Professeur HES spécialiste en énergie dans le bâtiment, Thomas Jusselme débute son intervention en rappelant d’où vient le concept de « budget carbone ». Les études ont montré une corrélation directe entre émissions de CO2 et réchauffement climatique. Partant de ce constat, il est donc possible de calculer combien de CO2 il est encore possible d’émettre pour limiter le réchauffement à un seuil déterminé. C’est cela qui définit le budget carbone.
La notion de budget carbone impacte fortement le secteur de la construction. En effet, à l’échelle mondiale, 37% des émissions globales sont dues au parc existant, chiffre auquel il faut encore ajouter celles liées aux matériaux de construction, qui représentent environ 10% des émissions mondiales.
Actuellement, la limite à ne pas dépasser pour éviter un réchauffement de plus d’1,5 degrés est presque atteinte. Il est donc nécessaire de se poser la question des politiques publiques à mettre en place pour tendre vers un zéro net à l’échelle mondiale.
Au niveau suisse, des travaux ont été effectués pour ramener la notion de budget carbone à la Suisse et par secteur. Ces calculs ont permis d’aboutir à des quantités de CO2 par secteur. Thomas Jusselme souligne que les prévisions considèrent déjà comme acquise l’existence de techniques permettant d’absorber du carbone, techniques dont le développement est pourtant incertain. Ce subtil calcul permet en fait d’émettre davantage aujourd’hui.
Sur le sujet, la Suisse demeure plutôt en retard et manque d’une approche quantitative qui donnerait un signal clair à l’industrie. Les autorités suisses ont été condamnées par la Cour européenne des droits de l’Homme pour un manquement à quantifier les efforts au moyen d’un budget carbone. Mais le changement de paradigme en Europe (où la règlementation française décrite ci-dessus sera imposée à tous les pays de l’Union Européenne) aura des impacts en terres helvétiques. En parallèle, les acteurs de la filière commencent à agir et à se fédérer pour faire avancer les choses.
La façon de définir un budget carbone nécessite de mélanger approche scientifique et approche politique. Les calculs de ces budgets doivent, en partant de l’échelle mondiale, être ramenés à une échelle sectorielle et par personne. Cette approche permet au secteur de la construction de fixer un budget qui limite les émissions pour chaque m2 construit.
La nouvelle norme SIA 390/1 introduit des valeurs limites et propose un outil pertinent pour ensuite évaluer les objectifs, édicter des règlementations et octroyer des subventions. Dans la même optique, le MOPEC et Minergie ECO définissent aussi leurs propres valeurs limites.
Les études montrent que l’industrie à elle seule ne parviendra pas à attendre l’objectif du zéro net à l’échelle du bâtiment. L’intelligence de la conception est essentielle pour développer par exemple des bâtiments plus compacts et nécessitant moins d’excavation, ou encore des isolants bas carbone. En outre, le monde de la construction suit encore aujourd’hui une logique très linéaire ; il est nécessaire d’aller vers davantage de circularité, en se posant notamment la question du réemploi.
Thomas Jusselme conclut en rappelant que l’arrivée des budgets carbone est imminente dans la construction en Suisse, que les MO portent une grande part de responsabilité dans ces changements, et que les architectes, ingénieur·es et entreprises devront construire différemment, avec moins de matériaux et des matériaux moins énergivores.
Jill Duchosal-Pichon
Architecte associée chez FdMP – Genève
Jill Pichon intervient pour présenter le projet de la transformation d’un bâtiment réalisé par le bureau FdMP ; il s’agit d’un immeuble de bureaux construit à la fin des années 80 et qui doit être transformé en immeuble de logements.
L’intérêt de ce projet en lien avec le sujet de la soirée réside dans le fait que le bureau et le MO ont souhaité transformer ce bâtiment en émettant le moins de carbone possible, tout en conservant un coût raisonnable.
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Variante 0 : démolir le bâtiment, puis le reconstruire
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Variante 1 : réhabilitation classique
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Variante 2 : réhabilitation en faisant du réemploi
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Variante 3 : réhabilitation avec réemploi extrême, c’est-à-dire en ne modifiant presque rien, notamment en gardant la façade et la distribution intérieure (cette variante implique notamment une impossibilité de surélever le bâtiment ou de modifier les hauteurs de plafond)
Ces différentes variantes ont été analysées en fonction de leur coût et de leur durabilité. Le calcul de l’empreinte carbone se fait sur trois volets : construction, exploitation, mobilité. Lorsque l’on prend uniquement en compte les coûts de construction, les résultats montrent un écart important entre la variante 0 et les autres. Lorsque l’on ajoute le coût annuel d’exploitation, les écarts se réduisent. Une analyse multicritère a également été réalisée en prenant en compte de nouveaux paramètres tels que la densité, le coût CO2 et le coût financier global. Les questions politiques ont également été prises en considération (ceci en vertu d’une loi loi genveoise imposant un PLQ pour pouvoir démolir et reconstruire).
⇒ Ces nombreux calculs démontrent finalement que le plus durable n’est pas nécessairement le plus cher, mais qu’il est possible de trouver un équilibre global avec des critères multiples ⇒ En ce qui concerne les variantes, c’est la variante 2 qui a été sélectionnée, soit une adaptation importante mais avec une grande quantité d’éléments réemployés.
Jill Pichon présente ensuite quelques images du projet. Les éléments porteurs des façades viennent faire office de séparation intérieure. Des éléments bruts ont été utilisés pour minimiser l’utilisation de matière. Les éléments structurels de la façade ont été réemployés pour constituer les soubassements des murs mitoyens entre les appartements. Les différents éléments ont été affectés aux usages avec diverses possibilités et priorités : conservation de l’élément, réemploi in situ, recyclage in situ, sourcing ex situ.
Jill Pichon conclut en indiquant que le projet a permis d’économiser plus de 1000 tonnes de CO2, ce qui correspond à près de 20% d’économie. Le coût global est quant a lui majoré de 1,5% par rapport à la variante 1. En termes de temps, le surcoût se monte à un an.
Table ronde
Différentes questions sont abordées dans la table ronde : la méthode de calcul pour les budgets carbone, la gestion du matériel avec les entreprises, et les nouvelles règlementations qui pourraient imposer davantage de règles au marché.