Urbanités du 19 février 2024 - le compte rendu
Verena Pierret, membres du comité du Groupe des Ingénieur·es de la SIA Vaud, souhaite la bienvenue au public venu en nombre pour cette soirée de conférence et de débat. Elle présente le Groupe de Travail Durabilité et Environnement (GTDE) de la SIA Vaud et ses activités.
Yves Roulet, Chef de services des bâtiments de la Tour-de-Peilz
Yves Roulet débute son intervention en rappelant les défis actuels et futurs en matière de durabilité. Si ces derniers concernent évidemment l’ensemble de la population, les ingénieur·es et architectes ne sont pas en reste, car nous passons actuellement 80% de notre temps dans des bâtiments, et 95% dans un environnement construit. Le rôle des spécialistes de la construction est donc central.
Yves Roulet poursuit en se demandant si la durabilité doit être vue comme une couche supplémentaire du célèbre triangle coûts-qualité-délais. Il propose plutôt de mettre ce triangle en relation avec les trois piliers de la durabilité que sont l’économie, la société et l’environnement.
Mais qu’est-ce qu’une construction durable ? Yves Roulet présente un florilège d’exemples volontairement provocateurs : un mazot valaisan, les pyramides, une usine Minergie eco aujourd’hui en déconstruction, la cathédrale de Lausanne, etc. Ces exemples illustrent bien la complexité de la durabilité dans la construction et la difficulté à trouver un consensus autour de sa signification et des bonnes pratiques à adopter.
Ce qui est certain, c’est que les jalons de la durabilité doivent être posés très en amont. Cet impératif confère une responsabilité importante au maître de l’ouvrage. Ce dernier dispose d’un large panel d’outils, de standards, de normes et de certifications permettant de labelliser un bâtiment comme « durable ». Mais cette certification sera-t-elle encore pertinente dans dix ou vingt ans ?
Pour se mettre d’accord sur les ambitions et objectifs, la SIA propose une norme intitulée Construction durable – Bâtiment, qui vise à favoriser la compréhension entre mandants et mandataires pour la réalisation de prestation pour une construction durable. Elle détermine les objectifs à atteindre et les prestations qui en découlent pour assurer la durabilité dans le secteur du bâtiment et fixe une base de référence pour une utilisation généralisée de la norme tout en favorisant l’innovation.
En tentant de poser les questions clés que comprend chaque projet (où, quoi, pour qui, comment, combien), la SIA essaie donc de définir quelques jalons permettant d’apporter une base de réponse via différents critères et tableaux de synthèse. Yves Roulet se demande s’il s’agit là d’une solution idéale, car elle reste très technocratique.
Sacha Karati, Architecte EPFL-SIA, président-directeur de l’OMPr et responsable du service immobilier de l’ECA
Les critères de durabilité sont-ils des critères alibi dans les AO ?
Sacha Karati débute sa présentation en présentant l’une des nouveautés issues de la dernière révision de la loi sur les marchés publics (LMP) qui a également un effet sur l’accord intercantonal sur les marchés publics (AIMP). Cette révision introduit dès le 30 septembre 2023 le critère de la durabilité comme un critère d’adjudication.
L’Observatoire des marchés publics romands (OMPr) couvre cinq cantons romands (Vaud, Fribourg, Neuchâte, Jura, Valais), dont deux ont adhéré à l’AIMP : Vaud et Fribourg.
Avec ce nouveau critère, il faut se demande ce que recherche le maître de l’ouvrage lorsqu’il s’intéresse à la durabilité dans le cadre de l’un de ses projets. S’il recherche un·e mandataire capable d’intégrer les principes de durabilité dans son entreprise, il s’agit là d’un critère d’aptitude. En revanche, s’il recherche un·e mandataire capable d’exécuter les prestations demandées en intégrant la durabilité à son projet, il s’agit bien d’un critère d’adjudication.
Sacha Karati présente ensuite quelques statistiques issues du travail de l’OMPr : sur les 136 appels d’offres analysés par l’observatoire en 2023, 64 intégraient des critères de durabilité. Ces critères peuvent apparaître de différentes manières, dont la plus utilisée reste le questionnaire Q5.
Après ce tour d’horizon, Sacha Karati constate que le critère de durabilité reste faiblement pondéré (entre 2 et 10%). Il remarque aussi qu’il y a peu d’intérêt à demander une analyse si elle n’est pas intégrée à l’offre, qu’il est utile de demander une référence mais que cela ne fait pas tout, et que le formulaire Q5 tend à avantager les porteurs de labels.
La durabilité est une notion trop vaste pour des solutions clés en main, elle nécessite des solutions adaptées et spécifiques à chaque projet. Sacha Karati conclut en proposant d’impliquer davantage les soumissionnaires dans l’élaboration du cahier des charges, avec des processus favorisant le dialogue entre maîtres de l’ouvrage et mandataires, tels que des MEP ou des variantes d’offres intégrant des prestations supplémentaires liées à la durabilité.
Marie-Laure Dalon, Directrice développement et innovation, Magenta Eko
Marie-Laure Dalon œuvre depuis des années à l’intégration de la durabilité dans les projets immobiliers. Elle constate que la démarche est ardue, tant pour un propriétaire privé que pour un fonds de pension devant rénover l’ensemble de son patrimoine. Vers qui se tourner, quels sont les rôles et responsabilité de chacun·e ?
Elle insiste sur la nécessité d’intégrer la durabilité le plus en amont possible, et sur le fait de ne pas opposer écologie et innovation.
Elle rappelle qu’il est nécessaire de se mettre à la place des maîtres de l’ouvrage et de comprendre leurs intérêts, car c’est à eux qu’appartient la décision finale. Il est parfois difficile de faire entendre la voix de la durabilité auprès des gros promoteurs. Chaque petit pas supplémentaire est donc une victoire, et il faut avancer ensemble.
Table ronde – échanges avec le public
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Comment faire pour que les objectifs de durabilité passent en priorité et se maintiennent tout au long du projet ?
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Comment éviter que les honoraires grignotent tout le budget des projets, empêchant les objectifs de durabilité d’être pleinement atteints ? A ce sujet, Sacha Karati propose d’étendre le mandat une fois l’ouvrage réalisé pour permettre un suivi. Raphaël Bach, modérateur de la soirée, interroge la possibilité d’étendre le mandat avant même la réalisation de l’ouvrage.
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La question de la certification est soulevée. Doit-on forcément être certifié, et donc payer, pour être concurrentiel ?
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Sur cette lancée, la question de la durabilité et de son volet social est également abordée : les solutions proposées (certifications, normes, concours) font toujours passer les mandataires à la caisse, est-ce vraiment durable ?
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Père d’un étudiant en architecture à l’EPFL, Yves Roulet se réjouit de constater que la façon d’apprendre l’architecture et de l’aborder est en train de changer. Les préoccupations liées à la durabilité prennent de l’importance. Yves Roulet invite le public à faire preuve de bon sens et à encourager les maîtres d’ouvrage à faire de même. Les bâtiments écologiques sont aussi les plus économiques, il s’agit là du meilleur argument pour les convaincre !
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Sacha Karati souhaite mettre en avant la formation avant tout, et milite également pour les concours.
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Marie-Laure Dalon insiste sur la nécessité de mener le combat ensemble.
Raphaël Bach clôt la soirée en évoquant un débat Urbanités ayant eu lieu deux ans auparavant sur la question de la place du militantisme dans la construction, et lors duquel on avait conclu qu’il fallait agir ensemble. Il invite les mandataires à mettre les maîtres d’ouvrage en face de leurs responsabilités. Pour convaincre, les retours d’expériences sont essentiels. Il est donc particulièrement important de développer des espaces où il est possible d’échanger, de dialoguer et de partager ses expériences.