Urbanités du 29 avril 2024 - Le compte rendu
Jaouida Zehou, modératrice de la rencontre, remercie le public présent.
Elle introduit le thème de la soirée en rappelant que la question de la proximité ou de la mise à distance des industries est un sujet récurrent de la constitution des villes, souvent débattu. Si la LAT a permis de repenser la question de la mixité urbaine en imposant la densification, le sujet est régulièrement remis sur la table, notamment avec la crise sanitaire. Il reste également vecteur d’un imaginaire riche lié au monde ouvrier.
L’objectif du débat de ce soir n’est pas d’interroger la pertinence de la mixité, mais de présenter les méthodes et outils permettant de la mettre en œuvre, et de montrer des exemples de cette cohabitation sur les territoires morgien et genevois.
Charlotte Baurin
Directrice de Région Morges
Charlotte Baurin démarre en présentant une carte de toutes les zones d’activités de la région morgienne, qui se situent pour la plupart au cœur de la région. Les activités industrielles et artisanales doivent donc être intégrée à ce territoire en plein développement.
Elle poursuit avec quelques constats. Tout d’abord, les zones d’activités ne jouent souvent plus leur rôle d’accueil des industries, en raison d’une tertiarisation et de l’arrivée de logements et de commerces dans un cadre pourtant mal adapté. Ces zones deviennent petit à petit des « no man’s land » où, une fois la journée de travail terminée, plus rien ne se passe. Avec peu d’espaces publics et peu de services de proximité, elle déplore un manque de convivialité qui n’incite pas à y rester.
En parallèle, l’objectif politique vise à maintenir des activités secondaires (industrielles et artisanales) au sein de l’agglomération Lausanne-Morges. Cela passera par une restriction sur le plan du logement, et une canalisation des activités tertiaires. Ces mesures s’accompagnent de financements cantonaux permettant de développer la mobilité et les infrastructures.
Cette situation a mené l’association Région Morges, qui regroupe dix communes, à se pencher sur la question des zones d’activités et à la façon de les intégrer dans le territoire. C’est dans cette optique de réconciliation entre ville et industrie que le projet ZIZA a vu le jour. Pour ce faire, les zones d’activités ont été considérés comme des morceaux de ville, mais avec leurs propres caractéristiques et leurs propres besoins, qui varient fortement en fonction des entreprises, que ce soit en termes d’usages, de surfaces, de métiers etc.
Les projets qui émergent de ces réflexions ont une faible plus-value, mais un équilibre est permis grâce à des équipements de qualité qui attirent les entreprises. Il est donc essentiel de mettre en place les outils pour répondre à leurs besoins. Charlotte Baurin conclut en présentant deux exemples sur le territoire de l’agglomération.
Le premier, Riond-Bosson-Molliau, concerne un territoire de 30 hectares qui relie la ville de Tolochenaz au lac, en lien avec la gare de Morges. Intégré dans l’agglomération, le site a été réfléchi comme un grand projet urbain, avec notamment des réseaux de mobilité douce et la participation de plusieurs équipes de paysagistes.
Le second, le site du Bief, se situe à Lonay-Denges à côté de la gare de triage. Il s’agit d’un espace très enclavé entre la gare de triage, les voies ferrées et l’autoroute. La réflexion a été initiée à partir du projet de renaturation du Bief, qui servira de colonne vertébrale à ce site et proposera des aménagements en guise de lien. De gros investissements sont également prévus sur le plan de la mobilité, avec une future cadence à la demi-heure pour la gare de Lonay-Préverenges. Enfin, il est prévu de créer une centralité afin de rendre ces lieux de travail plus accueillants, grâce à une vie de quartier, des commerces et des services.
Guillaume Massard : Quelle place pour l’industrie et l’artisanat dans la ville ?
Directeur de la Fondation pour les Terrains industriels de Genève (FTI)
Guillaume Massard introduit son intervention en rappelant les missions et l’organisation de la FTI, une fondation de droit public ayant aujourd’hui acquis des compétences cantonales. L’Etat de Genève délègue aujourd’hui de nombreux services à la FTI, ce qui lui a permis de devenir un pôle de compétences dans le domaine.
La fondation est aujourd’hui active dans plusieurs secteurs : développement immobilier, planification, urbanisme, écoparcs, infrastructures, génie civil et ferroviaire, gestion d’actifs immobiliers. Elle a également pour mission de gérer l’éligibilité, c’est-à-dire de définir les zones industrielles et artisanales.
Sur le plan des outils, la FTI travaille sur des projets à plus ou moins long terme : la planification cantonale et le plan directeur avec un horizon à 5-10 ans, la commercialisation de certains terrains à moyen terme, et à court terme la possibilité d’agir rapidement pour reloger des entreprises grâce au parc bâti dont elle dispose.
La région genevoise doit faire face à de nombreux enjeux. Tout d’abord, avec la grande part de frontières internationales qui l’entourent, les activités ne peuvent pas être repoussées à l’extérieur. Citons également la présence de nombreux quartiers du centre en cours de mutation, comme le projet Praille-Acacias-Vernets, le durcissement de la LAT et les enjeux en matière d’infrastructures de transport. Enfin, comme dans la région morgienne, il reste essentiel d’améliorer la qualité des zones industrielles, de rééquilibrer les activités, d’investir dans les outils logistiques et de densifier et décarboner les zones, tout ceci à des coûts adaptés.
Actuellement, à Genève, les grandes zones se situent surtout en rive droite. Elles sont en cours de mutation, mais la FTI s’assure que les entreprises aient un point de chute avant que les changements surviennent. La mixité est également au centre de la démarche avec l’objectif de rendre les zones industrielles plus qualitatives, en y intégrant des commerces et autres services.
Guillaume Massard précise que tous ces efforts permettent de continuer d’attirer des entreprises à la pointe dans leur domaine. Et dans les zones industrielles et artisanales du canton de Genève, ce sont plus de 80’000 emplois qui sont recensés chaque année.
Il évoque ensuite la stratégie développée pour cohabiter avec la ville et accompagner les entreprises. Cette stratégie comprend les démarches écoparcs, qui s’articulent autour de plusieurs axes permettant un dialogue avec toutes les parties prenantes et la poursuite de différents objectifs.
La question de la mixité a également été l’objet de réflexions, et a donné lieu à Genève au concept de la ZDAM (zone d’activité mixte), dans laquelle on doit trouver au minimum 60% d’activités secondaires et au maximum 40% d’activités tertiaires. Ce type d’organisation permet une meilleure utilisation des infrastructures, avec par exemple des entrepôts dans les étages inférieurs, et des infrastructures sportives dans les étages supérieurs.
Guillaume Massard termine en évoquant la ZDAM Meyrin-Satigny, et le projet Praille-Acacias-Vernets, qui tous deux visent une cohabitation avec la ville. Pour le projet Praille-Acacias-Vernets, les rails de la gare de la Praille permettront un transport logistique jusqu’au cœur de la ville. Le nouveau quartier affiche néanmoins des ambitions plus durables, avec de nombreux logements et une industrie et un artisanat qui visent l’approvisionnement de la ville.
Valentina Grimaldi
Architecte-urbaniste, Urbaplan
Valentina Grimaldi propose dans son intervention d’aborder le problème à travers le prisme des conditions spatiales. En effet, la cohabitation entre ville et industrie a toujours été en tension dans nos imaginaires. Pour parvenir à la mixité et à la cohabitation, il est indispensable de mettre en place des conditions spatiales propices à ces changements.
Elle présente ensuite trois exemples de projets genevois permettant d’illustrer que cette cohabitation est possible.
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L’éco-quartier industriel des Cherpines
Ce grand projet initié par le canton vise à répondre à la pénurie de logements et à retrouver un équilibre entre habitant·es et emplois. Dans ce cas, il s’agit de l’extension d’une zone agricole, un aspect à considérer dans une optique d’optimisation de l’usage du sol.
Ce projet introduit la notion d’écoparc, avec une zone industrielle pensée comme un quartier à part entière. Cette intégration est permise par la continuité des espaces publics, une qualité d’aménagement, et la proximité des services. On adopte également une logique de mutualisation des services pour les personnes travaillant dans la zone, ce qui accentue la dimension « quartier ». Ces aménagements sont financés grâce à une densité élevée qui permet d’optimiser l’usage du sol. Les entreprises, quant à elles, trouvent leur place en fonction de leurs besoins.
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La ZDAM de Meyrin
La zone concernée par ce deuxième exemple se trouve dans un périmètre existant ; le tissu en place va donc évoluer et se diversifier. Le secteur forme une mosaïque de différents éléments qui composent une proximité complexe.
La première mesure consiste donc à créer un maillage d’espace public, avec la mise en place de jardins et de places. Des espaces strictement logistiques sont également identifiés afin de conserver une desserte de qualité.
Différentes densités sont ensuite planifiées, tout en conservant une marge de manœuvre en co-construction entre toutes les parties prenantes du projet. La mutualisation reste un aspect important, et ce sur plusieurs éléments : la cour logistique, ainsi que « le nid », une infrastructure proposant divers services.
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Praille Ouest
Ce troisième projet prend place dans un quartier en pleine évolution. Des rails entourent la zone, une particularité qui peut être vue comme une contrainte, mais aussi comme une occasion d’augmenter le report modal de la route vers le rail pour les marchandises. Ces rails participent également à définir l’identité de la zone.
Un travail important a donc été entrepris pour valoriser cette infrastructure. Les rails au sud ont été conservés et la partie Nord a été libérée afin de permettre davantage de possibilités en matière de mobilité douce et d’espaces verts. Le secteur rail/route permet d’accueillir une grande diversité de projets et d’activités, mixtes ou plus complexes.
Valentina Grimaldi conclut son intervention en rappelant qu’entre ville et industrie, on se trouve toujours face à des champs de tensions, et ces enjeux se reflètent dans les projets et dans les stratégies.
Table ronde
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Le sujet de l’exploitation de la dimension souterraine des territoires est évoqué. Guillaume Massard confirme que des réflexions à ce sujet sont en cours, et Valentina Grimaldi rappelle que certaines zones souterraines doivent rester intactes. En réaction à cela, la question de la privatisation d’une ressource comme le sol est également mise sur la table.
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Une personne dans le public questionne la durabilité de ces zones, dont le développement est parfois en contradiction avec la volonté de préserver l’environnement. Guillaume Massard estime que le maintien d’un tissu industriel et artisanal reste une nécessité dans le cadre de l’économie circulaire. Les projets ne sont certes pas toujours irréprochables, mais à ses yeux cela permet de garder les activités chez nous plutôt que de les délocaliser à l’étranger.
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La question du type d’entreprises ou d’industries présentes sur ces zones est enfin évoquée, avec une interrogation sur la possibilité de favoriser l’implantation d’entreprises plus durables. Guillaume Massard confirme que ce type de levier existe sur les terrains de la FTI. Valentina Grimaldi souligne toutefois que ces décisions dépendent également de visions politiques, qui seront peut-être bientôt davantage orientées vers ce type de décisions.