Urbanités du 16 juin 2025 - Le compte rendu
Hélène Hoyoux, membre du Groupe Environnement et Durabilité de la SIA Vaud et co-organisatrice du débat, souhaite la bienvenue aux personnes présentes. Elle souligne que l’idée de ce sujet est née d’une discussion sur la notion de « patrimoine énergétique des bâtiments » et du constat que les bâtiments existants possèdent un capital positif d’énergie grise, à savoir celle déjà contenue dans les matériaux et la construction. Le groupe s’est ainsi questionné sur les outils permettant de conserver et de valoriser ce patrimoine. Le débat du soir s’intéressera aux outils dont disposent les architectes pour révéler les qualités cachées de ces constructions, avec quatre invité·es qui partagent la conviction que l’existant mérite d’être regardé autrement, travaillé, transformé et magnifié.
Plaidoyer pour la qualité de l’existant - conservation et transformation du bâti non monumental
Théo Bellmann, Architecte EPFL SIA, labac laboratoire de culture du bâti
Théo Bellmann commence par présenter brièvement la société coopérative labac et son fonctionnement.
Il évoque ensuite sa vision qui met l’existant au cœur du système ; les projets développés prennent en compte l’existant dès les premières phases. Cette démarche est également à mettre en lien avec les objectifs du développement durable de l’ONU ; cela permet de comprendre l’impact d’un projet au niveau plus global.
Dans la pratique professionnelle, ces principes se retrouvent confrontés à la réalité du terrain, où de nombreux projets débutent avec un CECB (ou CECB+), et intègrent parfois d’autres outils. Théo Bellmann met en évidence le manque d’un outil qui permettrait d’aller plus loin.
Afin de développer un tel outil, il s’appuie sur le système Davos concernant une culture du bâti de qualité et qui, dans une tentative d’objectiver une certaine qualité, se base sur 8 critères : gouvernance, environnement, économie, esprit du lieu, beauté, fonctionnalité, contexte, diversité. Le tout permet de servir de référence, d’établir des comparaisons, de lister des bonnes pratiques et d’améliorer la qualité globale du bâti. Ces principes sont également inscrits dans la déclaration de Davos.
Théo Bellmann présente ensuite l’outil développé par labac ; ce dernier propose un diagnostic, des recommandations, un suivi et une évaluation permettant d’accompagner le projet, avec l’objectif d’améliorer la qualité générale de l’environnement bâti.
La démarche comporte des recherches historiques et un rapport CECB+, et accompagne également le projet via des ateliers et des présentations in situ. A l’issue de ce travail, le bureau édite un rapport diagnostic fournissant de nombreuses informations utiles liées aux critères de Davos. Cette approche permet d’aborder des éléments qui ne le sont pas forcément dans une démarche « classique ». Les documents sont mis à jour durant la phase de chantier, et le projet est évalué à la réception du projet.
Wunderkammer - plateforme d’expérimentations spatiales éphémères
Romain Dubuis, Architecte EPFL, membre du collectif Wunderkammer
Romain Dubuis, membre du collectif Wunderkammer, présente la genèse de cette association, fondée en 2013 lorsque des architectes en charge de la rénovation d’un café lausannois ont réalisé qu’entre l’arrêt de l’exploitation d’un lieu voué à être transformé et le début des travaux, il existait un temps de latence, et que dans cet entre-deux résidait un potentiel rarement exploité. L’objectif de Wunderkammer consiste donc, via des interventions artistiques dans des lieux en mutation, à faire vivre cet entre-deux.
Fondée par des architectes, l’association a depuis été rejointe par de nombreuses personnes aux profils variés ; elle réunit aujourd’hui architectes, historien·nes de l’art, archivistes, artistes, acteur·ices du monde culturel, etc.
Pour trouver des lieux à investir, le collectif s’appuie généralement sur le bouche-à-oreille et saisit les occasions qui se présentent. Des propriétaires les contactent parfois en amont pour éviter l’occupation illégale des lieux. Tous les espaces investis ont en commun de proposer une esthétique en rupture avec les normes actuelles qui régissent les lieux d’exposition et de spectacle. Cette démarche permet l’émergence d’autres formes artistiques ou culturelles.
Le collectif accorde une importance particulière à l’histoire et à l’architecture du lieu qui accueille le projet. Il met un point d’honneur à s’immerger corps et âme tant dans la « grande » histoire que dans les récits plus intimes et les anecdotes. Cette immersion permet de faire émerger un fil conducteur propre à chaque projet.
Wunderkammer donne carte blanche aux artistes, avec pour seule contrainte de créer des œuvres in situ et qui s’inspirent de l’histoire et/ou de l’architecture du lieu. Les projets naissent soit d’appels à projets, soit de démarches curatoriales. Ils offrent également la possibilité aux artistes d’utiliser les lieux comme résidence artistique.
Romain Dubuis présente quelques exemples de projets réalisés par différent·es artistes. Il souligne que les projets s’inscrivent aussi toujours dans une optique de médiation et de création de nouveaux lieux sur la carte des espaces publics lausannois.
Le collectif travaille actuellement sur un projet d’édition ; plusieurs textes ont été commandés à des auteurs et autrices de la région.
Dominicé - Plaidoyer pour l’existant
Maureen du Sordet, Responsable Développement Immobilier, Dominicé & Co - Asset Management
Maureen du Sordet représente la vision du maître de l’ouvrage (MO). Elle précise que chaque MO est différent en termes de stratégie d’investissement, de profil d’investisseurs, de rendement visé et de politique en matière de durabilité.
Elle présente ensuite Dominicé, qui est un fonds d’investissement. Elle précise que bien qu’il intègre des paramètres durables, il ne s’agit pas un d’un fonds durable.
Pour un maître d’ouvrage, la question se pose pour chaque projet : faut-il rénover, faut-il reconstruire ? Maureen du Sordet précise d’emblée : la démolition est rarement rentable. Démolir et reconstruire peut se révéler rentable uniquement si l’état locatif futur est 2.5 fois plus élevé que l’état locatif initial. Chez Dominicé, chaque projet est soumis à une analyse comparant trois scénarios : la rénovation seule, la rénovation avec surélévation et la démolition/reconstruction.
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Variante S : « simple » rénovation permettant la remise aux normes
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Variante M : rénovation et surélévation d’un étage
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Variante L : démolition et reconstruction
Une analyse est ensuite réalisée au regard de chaque scénario en intégrant divers paramètres : délais, risque, émissions de CO2, finances, etc. Le retour sur investissement et le rendement après travaux sont des aspects particulièrement importants. Ces divers paramètres permettent au MO de se prononcer en faveur d’un ou l’autre scénario.
Maureen du Sordet termine avec une étude de cas à la rue de la Borde à Lausanne. Le bâtiment a été démoli puis reconstruit. 22 nouveaux logements ont pu être réalisés, les revenus locatifs ont augmenté de 141% et le projet a été labellisé Minergie. La perte de rendement est compensée par un gain en valeur.
Outre ce dernier exemple qui fait office d’exception, Maureen du Sordet conclut en soulignant à nouveau qu’en tant que MO, on plaide généralement pour l’existant.
Plaidoyer pour l’existant
Vincent Rapin, Architecte EPFL, Rapin Saiz Architectes
Pour illustrer la question de la conservation du bâti non monumental, Vincent Rapin présente un projet de rénovation à St-Sulpice.
Il s’agit d’une petite maison au bord du lac bénéficiant d’une situation très privilégiée. Les bâtiments d’origine sont plutôt modestes, ce qui aujourd’hui crée un décalage avec la valeur liée au lieu et à la situation exceptionnelle. Les prix élevés dans cette zone créent des attentes importantes chez les propriétaires qui y achètent un bien.
Dans le cas de ce projet, les client·es étaient ouvert·es à étudier la possibilité de ne pas démolir le bâtiment. Le bureau d’architecte a souhaité encourager cette démarche en mettant en avant les qualités de la maison existante.
Les travaux réalisés ont permis d’assainir énergétiquement la maison, et de réaliser une extension à l’avant du bâtiment. Le projet conserve un langage architectural unique. Vincent Rapin présente quelques images.
Il conclut en évoquant un autre projet réalisé par le bureau à l’échelle d’un quartier de la Ville de Bulle.